Lumière Intime 2014

LA CHAMBRE à SOI
Pr Maurice Corcos Chef du Service de Psychiatrie de l’adolescent de l’Institut Mutualiste Montsouris

 

Sa chambre à soi… celle où l’on se retire, se recueille et interroge son esprit quand il semble ne plus vouloir ou ne plus pouvoir rien savoir de lui-même. Celle où l’on se retranche, quand d’avec le corps il ne tombe plus d’accord que sur un seul point la rupture. Celle où l’on s’enferme lors des coups de vague (à l’âme) pour ne pas s’abandonner et en s’abandonnant pourtant. Pièce de notre logement interne, géographiquement impossible à localiser... à la fois nulle part et partout. Est-elle une chambre noire où l’obscurité est maîtresse ? Alors il ne faut pas avoir peur du noir puisqu’il est nécessaire au dévoilement des images !

Est-elle la chambre à la blancheur bleue et rose de la toute première enfance et des tout premiers émois ? Ou est-elle enfin pour certains fils et filles du feu au cœur de lumière comme certaines nuits, noire et blanche ? Si les autres chambres de psyché ont chacune la couleur des émotions et des pensées qu’elles abritent , pourquoi celle-ci aurait-t-elle hérité du noir et/ou du blanc… l’absence même de couleur ? Peut-être faut-il imaginer la toute première naissance de cette chambre : Au commencement le premier homme, tout juste sorti de l’animalité, plaque ses mains, plongées dans la cendre noire des os blancs, sur les parois de Lascaux… dans le noir le plus absolu et commence à y figurer son espace intime l’ouvrant ainsi sur le monde. Peut-être faut-il poursuivre : les silhouettes et les ombres doivent un jour quitter cette chambre-caverne pour s’animer enfin à la lumière et créer alors cet espace si essentiel qu’est l’indécidable frontière entre l’intérieur et l’extérieur.

Certaines chambres à soi n’accueillent pas volontiers le futur, tant elles ont pour mission première de conserver les parts secrètes du passé pour mieux les reconstruire. C’est bien dommage, car comment alors « attraper les gestes inédits et les paroles non prononcées, à moitié prononcées à peine plus palpables que des lucioles ». Et avec ce passé qui ne passe pas, les mondes sensibles, aux centres de gravité suspendus comme les Jardins de Babylone, les théâtres de mémoire où se jouent indéfiniment dans les mêmes paysages mentaux, les mêmes hantises, les mêmes présences absentes, et les mêmes absences présentes, à l’origine des bouleversements intimes de l’être, peuvent-t-ils laisser place à la créativité d’esprits adolescents-frondeurs ? Ou ont-ils besoin pour sortir de la répétition du même, d’un autre espace, vierge et blanc cette fois, que l’on puisse occuper à l’ombre mauve d’un autre que soi-même… pour cette fois pas forcément avoir à le noircir ? A l’ombre d’un autre qui ne fasse pas trop d’ombre et nous ombre suffisamment, plutôt qu’à la lumière cruelle du monde des clichés qui se voudraient vérité des formes. Faire avec un autre… pour mieux se souvenir de ce qui s’est inscrit sur la rétine de ses nuits noires et blanches, mais aussi en faisant… se défaire de ce qui nous entrave et nous aliène et se refaire. Faire avec lui le chemin plutôt que d’être obsédé par le but. Aimer le processus plutôt que les moyens. Un médiateur, un passeur, un être avec et un faire avec le patient ; un soignant qui a sa part dans la production de certaines œuvres, ne serait-ce qu’en permettant, que les œuvres « même dans la débâcle gardent leur calme ».

Bien évidemment on ne crée qu’à partir de ses difficultés, aussi ne méprisons pas le passé quel qu’il fut. Mais une fois posé avec un autre, un décor et des personnages, une fois essayé deux couleurs qui semblent avoir une amitié entre elles… le dialogue entre soi et l’autre s’instaure, le décor s’anime et ses personnages semblent s’y sentir vivants, cette couleur-ci épouse cette couleur-là. Et ce qui en perle, ruisselle ou découle d’affinités retrouvées, ce qui enfin arrive ou seulement apparaît, devient extérieur aux difficultés et va suivre une autre voie, dans une autre logique dictée par l’imaginaire.

Mais est-ce facile pour les chambres mentales, que sollicitent immédiatement une feuille ou une toile, que leur blancheur défendent ?

L’art est un jeu, où l’on tente de se représenter avec une main psychique chantante ou humectée de larmes, pétrissant un théâtre d’argile qui devient langage corporel, mais aussi château de sable sans cesse menacé. C’est pourquoi chacun joue plus ou moins dangereusement, avec son droit de ne pas communiquer son être profond et il suffit de se mettre face à une feuille blanche ou une toile blanche pour prendre la mesure de notre solitude et de notre
ignorance face à nous même. Mais aussi si l’on ose, aidé de cet autre, de comprendre qu’il est désormais temps de faire parler, d’une manière ou d’une autre, les histoires qui nous hantent et les silences qui nous habitent. A revisiter ces histoires qui ont fait tant d’histoires, on peut s’en dégager si on n’en reste pas à un commencement qui dirait qu’au commencement étaient la peur puis l’angoisse, si l’on redécouvre en créant… l’amour des commencements, et si l’on s’autorise au sortir des rêves agités dans cette chambre noire… d’autres commencements. On y fait alors advenir une présence potentielle, certes virtuelle, imaginaire, mais qui va faire pendant à cette présence que « la maladie », l’affection, semblait vouloir nous interdire. On y laisse vivre en soi, dans un songe de sa mémoire, ce qui n’a pas eu lieu d’être ou ce qui n’a pas eu l’heur d’être du fait de la « maladie ». On se raconte des histoires, on se crée des identités multiples fonctionnelles et non d’emprunt ou de compensation. On redevient enfant et on joue, insouciant et innocent d’être inconscient, avec tout le sérieux que les enfants peuvent mettre dans le jeu, à élargir sa vie imaginative.

Il s’agit de se reprendre comme idéal et d’à nouveau se rêver, c’est-à-dire de faire rendre gorge au passé dans le présent et dans la visée d’un futur autre… d’un devenir qui ne soit plus simple répétition maladive. Il faut inverser la disparition de soi que provoquait la maladie, créer contre cette métamorphose négative de soi, provoquer la réapparition sensorielle de ce que l’on a été. Retrouver l’infans rêveur disparu, l’enfant aventureux et nomade, qui « son bougeoir à la main, montait d’un pas rapide, l’escalier, et voyait dans l’ascension en spirale, son ombre danser sur un pan de mur jaune », l’enfant qui se rêvait et se savait dans une sensorialité pure et une innocence rare… sans maladie.

 

 

CRÉATIVITÉ ET UNITÉ

Au sein de l’Institut Mutualiste Montsouris, dans l’allée des visiteurs, le département de Psychiatrie de l’Adolescent sollicite le regard d’un nouveau public ; rendre attentif les patients et leur famille, mais aussi nous, les soignants, à la magie de l’art en exposant avec l’accord des adolescents des réalisations collectives des ateliers de médiation artistique du service.

Cette exposition intitulée Lumière Intime aura lieu du 30 septembre au 27 novembre 2014.

« L’art est un lieu de rencontre, entre l’auteur et l’objet de son amour, entre l’esprit et la matière, la vérité et l’imaginaire, la ligne tracée par le crayon et le contour du corps, entre les mots. Ces rencontres sont exceptionnelles, inattendues : « Est-ce toi, est-ce moi » ? En se reconnaissant les deux parties prises d’une sorte de frénésie s’étreignent les mains. Dans ces gestes de surprise et de joie, nous voyons les manifestations de l’art ».
Saül Bellow

Les soignants participent à la création permettant ainsi aux adolescents une émulation, un « lâcher prise », une spontanéité ainsi qu’un étayage de l’individu et du groupe. Notre regard, notre écoute, nos faits, nos gestes ouvrent chacun d’entre eux à une meilleure acceptation de soi et des autres. Nous les aidons à travers la création, à éprouver de l’envie et du plaisir, à créer leur espace dans ce collectif, à être dans « l’éprouvé partagé ».

Le processus de création des œuvres collectives leur permet de construire quelque chose, ensemble. Chaque œuvre présentée ici raconte une histoire. Les idées s’échangent, les pinceaux s’emmêlent, les couleurs se mélangent et aboutissent à une œuvre en commun.

Ce sont ces créations qui sont exposées et que nous vous invitons à découvrir.

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